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Les fiches coureurs de la Ligue - 2024 Victoires, grands tours, faits marquants.

Geminiani Raphael

Geminiani sabre au clair



Coureur d'envergure puis directeur sportif, il aura voué toute sa vie au cyclisme. C'était un grimpeur, un hussard et un comédien. Un ' mec ' rare, à la vérité. Portrait du légendaire ' Grand fusil '. 


Dans le grand livre du cyclisme français, il faudra prendre Raphael Geminiani pour ce qu'il fut réellement : un champion, un personnage et un type, au sens propre, incroyable. Pierre Chany, qui suivit sa carrière, le présentait comme ' un grand comédien et un sacré coureur '1 - mais aussi comme un homme malchanceux qui ' eût certainement remporté un Tour d'Espagne et un Tour d'Italie '2 sous une meilleure étoile. Peut-être... Le sûr est que Raphael Geminiani, grognard d'1,78 mètre pour 70 kilos, termina le Tour de France 1951 en deuxième position, derrière l'intouchable Koblet. En 1953, il décrocha le titre national. En 1955, déjà quatrième de Paris-Nice, il cumula les performances, finissant troisième du Tour d'Espagne, puis quatrième du Tour d'Italie, sixième du Tour de France et huitième du championnat du monde. Oui ! un sacré coureur et une résistance monstrueuse... Dans ce Tour de France 1955, le même Chany le vit réaliser un exploit qui le peint tout entier : une victoire d'étape à Monaco, malgré un démarrage calamiteux. C'est au point qu'au pied du col de Vasson, il était passé avec onze minutes de retard sur Charly Gaul, le petit grimpeur luxembourgeois. Un autre aurait laissé filer ; pas Geminiani qui se ' rebecta ' peu à peu (il n'y avait point ' contrôle ' à l'époque), d'abord flanqué de Robic, puis superbement seul dans les gorges du Cians. À cet instant, le ciel était noir ; la terre, battue par l'orage, était rouge, et la route ressemblait, parait-il, à ' un fleuve de sang '. Dans la descente, échappés, motards et voitures glissaient au ralenti, chacun cherchant à conserver un minimum d'équilibre. Puis l'impayable Gem surgit, démontrant une fois de plus qu'il restait un descendeur d'exception ! Arrivé au niveau de Marcel Bidot, le patron de l'équipe de France, il lui cria, affreux et goguenard : ' Alors, Marcel ! vous en avez souvent vu des mecs comme moi ? '3 L'intéressé écarquilla les yeux : à l'évidence, des mecs comme lui, il n'en avait pas souvent vu.

 Et encore, il n'avait pas tout vu ! Car son lieutenant préféré repartit à l'assaut, toujours décidé, selon sa formule, à ' faire la fête à Charly '4. Moyennant quoi, le petit Charly, à bout de souffle, fut bientôt dans la ligne de mire de celui qu'on surnommait communément ' Gem ' ou ' Grand fusil '. Lui aussi écarquilla les yeux, stupéfait qu'on pût rouler si vite après sept heures et demie d'une course dantesque ! Mais Geminiani était survolté. Il croqua Gaul, Bauvin et Walkowiak, les derniers rescapés, puis se détacha définitivement dans la descente du col d'Èze. ' Avec le recul, je suis persuadé que cet exploit, dont plus personne ne parle aujourd'hui, est l'un des plus beaux de l'histoire du cyclisme '5, commenta Pierre Chany au soir de sa vie. Il aurait pu ajouter que des exploits, Gem en signa beaucoup autres... Le premier datait de 1943, lorsqu'il s'était adjugé la finale nationale du Pas Dunlop, équivalant au championnat de France junior. Derrière, le jeune Louis Bobet (on ne l'appelait pas encore Louison) avait coupé la ligne en sixième position. Ces deux-là se retrouveraient...

 Dans un raccourci  audacieux, le frère, Jean Bobet, crut voir en Geminiani un ' Talleyrand du vélo ', au motif qu'il ' s'accomod[ait] de tous les règnes (Coppi, Bobet, Rivière, Anquetil, Merckx...) '6 Plus justement, ce fils d'immigrés italiens cachait un Murat, c'est-à-dire un hussard spontané, chaleureux, courageux et populaire, servi par une insolente santé. Celle-ci lui permit d'enchainer douze Tours de France en treize saisons professionnelles, et d'aller guerroyer crânement dans cinq Giri d'Italie. Et quels Giri ! Tantôt c'était pour la Bianchi, aux côtés de l'inestimable Coppi. Tantôt c'était pour Bobet, sous les couleurs du pays. Mais, toujours, c'était sabre au clair ; c'était même, certaine fois, la pompe à la main et des ' Nom de Dieu ! ' plein la bouche pour se frayer un chemin en montagne... Puis... puis il y eut cette étape ahurissante dans la Chartreuse, en juillet 1958. Geminiani avait trente-trois ans ; il sentait que le déclin approchait. Pourtant, trois jours avant l'arrivée à Paris, il portait bravement le maillot jaune ; et le public espérait... Le vieux tiendrait-il ? C'était sans compter sur Charly Gaul, désormais au sommet de son art. En cinq cols, il lui reprit 12 minutes ! Geminiani fondit en larmes. Il était un coureur fini.

 Devenu directeur sportif dès 1960, Raphael Geminiani commença une deuxième existence qui le mena jusqu'à Luis Herrera, le grimpeur colombien des années quatre-vingt. Entre-temps, bien sûr, il avait gouverné Jacques Anquetil, lauréat sous sa coupe de quatre Tours de France et du doublé Dauphiné-Libéré-Bordeaux-Paris en 1965. D'où la réputation de chef d'orchestre génial et tonitruant que lui troussèrent ses nombreux amis journalistes, et qu'il cultiva tel le César de Pagnol, avec humour, faconde et pétulance. Pour un peu, on aurait dit Vietto - enfin, la même mauvaise foi, mais le culot en prime ! Parce que dans les faits, ce singulier directeur sportif ne rougissait devant rien. Il tenait Antonin Magne pour un enfant de chœur, Poulidor pour un sot, Herrera pour Coppi, Koechli pour un cancre et le dopage pour une fable ! D'ailleurs, aujourd'hui encore, il continue d'affirmer que Simpson n'est mort que d'un collapsus cardiaque... On l'a connu mieux averti.

 N'empêche que des mecs comme lui, on n'en a pas souvent vu.

© Christophe Penot

Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.



Geminiani en bref

* Né le 12 juin 1925 à Clermont-Ferrand.
* Se révèle en 1943, en reportant la finale nationale du Premier Pas Dunlop. En 1946, il termine troisième du Circuit des Six-Provinces. Il passe professionnel l'année suivante chez Métropole-Dunlop (1947 à 1952), Rochet-Dunlop (1953), Saint-Raphael-Geminiani (1954 à 1960). En 1952, il a aussi porté le maillot Bianchi au Tour d'Italie.
* Principales victoires : Ronde d'Auvergne 1947 ; Tour de Corrèze 1949 ; Polymultiplié 1950, 1951 ; Grand Prix du Midi-Libre 1951 ; Championnat de France 1953 ; Bol d'Or des Monédières 1956, 1957, 1958 ; Tour de la Côte d'Ivoire 1957 + sept étapes dans le Tour de France.
* Principales places d'honneur : 2e du Tour de France 1951 (3e en 1958) ; 3e du Tour d'Espagne 1955.



1 Pierre Chany, Les rendez-vous du cyclisme, La Table ronde, 1960, p. 148.
2 Pierre Chany, La Fabuleuse histoire du cyclisme, O.D.I.L., 1975, p. 842.
3 Christophe Penot, Pierre Chany, l'homme aux 50 Tours de France, Cristel, 1996, p. 118.
4 Pierre Chany, La Fabuleuse histoire du Tour de France, O.D.I.L., 1983, p. 431.
5 Pierre Chany, l'homme aux 50 Tours de France, op. cit., p. 118.
6 Jean Bobet, Champions, La Table ronde, 1962.



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