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saint gerard

Gérard Saint, par l'horrible fatalité...


 
C’était un jeune homme surdoué, qui grimpait et roulait, et pouvait gagner le Tour de France. On le comparait à Koblet,  à Anquetil, aux plus grands lorsque la mort le faucha à vingt-quatre ans. Portrait du regretté Gérard Saint… 
  
Ils marchaient tous d’un pas terriblement lourd, mordus par le froid et l’horrible fatalité : Gérard Saint n’était plus, Gérard Saint était mort ! Oui, mort dans l’aube poisseuse de la fin de l’hiver, alors qu’il rejoignait sa caserne au volant de son véhicule. L’accident, rendu public dans la matinée du 16 mars 1960, eut l’impact d’une bombe ! Disparaissait en effet, non seulement une vedette, mais un jeune époux et un jeune père de vingt-quatre ans qui laissait trois enfants, dont deux jumeaux d’un mois. Autant dire une hécatombe, que chacun mesurait en silence, les yeux hagards… À quoi pouvait songer Raphael Geminiani, au sens propre méconnaissable, tandis qu’il croulait moins sous le poids du cercueil que sous le poids du chagrin ? À Fausto Coppi, également disparu en ce début d’année irrémédiablement tragique ? (Et l’on ignorait que Roger Rivière, quelques semaines plus tard, s’écraserait au fond d’un ravin…) Ou bien pensait-il simplement, dans un raccourci plein d’amertume, que le malheureux Gérard Saint étaient de ceux qui devaient succéder au campionissimo ? « [Il] aurait réussi des choses étonnantes », soupirerait Pierre Chany en 1996[1]. Dans une biographie au titre explicite : Gérard Saint ou l’espoir anéanti, Jacky Desquesnes l’exprimerait sans ambages : « ce que ce jeune champion aurait pu devenir : vainqueur du Tour de France, champion de France, champion du monde, vainqueur de n’importe quelle grande classique. »[2]
Évidemment, le conditionnel reste de mise. Mais il est parfaitement admissible d’imaginer ce qu’eût été l’histoire du cyclisme si Roger Rivière n’avait pas chuté, et si Gérard Saint, hélas… Quel Tour en 1963 ! Et quel bras de fer en 1964, qui les eût rassemblés avec Poulidor et Anquetil ! Quatre routiers d’exception issus de milieux modestes, et rêvant d’un autre destin… On connait le fameux « Maitre Jacques » : un dieu viking, né pour régner. On se rappelle Rivière : un fort des halles, qui croquait la vie. On se souvient de Raymond Poulidor : un paysan volontaire, au parler un peu trainant, qui fit beaucoup pour sa popularité. Gérard Saint, lui, possédait une voix grave, belle. Une voix de basse, dont on osera écrire qu’elle attirait œil. Surtout que cette voix semblait perchée au sommet d’un corps interminable, faussement frêle et malhabile. À regarder trop vite, une toise d’un mètre quatre-vingt-douze ! Mais, pour Henri Huet, son premier entraineur, une incroyable paire de jambes qu’il pourrait transformer en fantastiques leviers… Car tel s’annonçait le défi : rouler sans cesse pour confirmer sa victoire acquise à Pont-Audemer, le 8 août 1954, dans la finale contre-la-montre du Maillot des jeunes de Paris-Normandie. Temps de référence ? 2 heures 7 minutes et 13 secondes, soit le record établi par Jacques Anquetil en 1951. Prodigue et prodigieux, Gérard Saint boucla le parcours en 2 heures 3 minutes et 41 secondes. Les reporters accoururent aussitôt.
Un nouveau géant ? La Normandie l’affirmait, notant avec bonheur que cet athlète longiligne avait vu le jour le 11 juillet 1935, à Argentan. Et Fausto Coppi soi-même devait bientôt faire écho, confiant à un journaliste : « Vous avez en Normandie un espoir extraordinaire. Je pense qu’il ira très, très loin. »[3] En conséquence, personne ne fut surpris d’apprendre que Gérard Saint, lauréat chez les amateurs du Grand Prix de France 1955, passerait professionnel au 1er janvier 1956, sous le maillot de l’équipe Saint-Raphael-Géminiani. À ses côtés, Gem, bien sûr, Pierre Barbotin, Roger Hassenforder, Roger Walkowiak, futur vainqueur du Tour en juillet, et un champion illustre, auquel certains observateurs le comparaient : Hugo Koblet, désormais vieillissant. Entre les deux hommes, y aurait-il passage de témoin ? Le cador suisse le supposait, qui n’avait pas été sans remarquer que la recrue grimpait aussi vite qu’elle roulait ! Et puis, quelle allure ! D’une souplesse admirable, Gérard Saint pliait son grand corps jusqu’à lui donner un aspect photogénique qui emplissait les magazines. Un félin, en somme, pareil à Anquetil lorsqu’il s’escrimait dans les contre-la-montre, mains au bas du guidon, et plus proche de Rivière quand il se mettait en danseuse… Ce qui ne l’empêchait point de dégager un style propre, porté par son physique hors du commun. « Il est le seul coureur qui ne s’autorise que le seul mouvement des jambes pour pédaler. Quand il roule à fond, un verre d’eau posé sur son dos ne laisserait pas échapper une goutte », signalerait Jean Bobet dans un article.[4]
Encore une fois, c’était le fils de toutes les promesses. On le vérifia en mars 1956, sur la piste du Vel’ d’Hiv’ où il se permit de battre en poursuite Guido Messina, pourtant double champion du monde de la spécialité ! À cette date, Gérard Saint n’avait que vingt ans ! On aurait pu croire qu’une telle réussite lui tournerait la tête ; c’était oublier que ce gamin discret, né dans une famille très pauvre, trimait depuis l’âge de quatorze ans. Il avait débuté comme ouvrier agricole, les doigts glacés, les pieds dans la glèbe. Sans des dons manifestes pour le sport, il y serait toujours, plus décharné que jamais — mais privé d’espérance. Alors, il savourait doucement sa chance, vainqueur d’une étape au Tour de l’Ouest 1956, vainqueur du Tour du Luxembourg 1957, puis deuxième du Grand Prix des Nations et du Grand Prix de Lugano en 1958. La saison suivante, celle de sa véritable éclosion, il découvrit brillamment le Tour de France, terminant neuvième au classement final malgré plusieurs chutes, et deuxième du classement par points, troisième du Grand Prix de la montagne, premier du classement de la combativité…
Puis, un fracas de tôle, au sortir de l’hiver. « La nouvelle nous frappe comme un coup de poing en pleine figure », souffla Jacques Augendre en retenant un sanglot[5]. 
 

© Christophe Penot

Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.

   
Gérard Saint en bref
  • Né le 11 juillet 1935 à Argentan. Décédé au Mans le 16 mars 1960.
  • Professionnel de 1956 à 1960 chez Saint-Raphael.
  • Principales victoires : 7e étape du Tour de l’Ouest 1956 ; Tour du Luxembourg 1957 ; Tour de l’Ariège 1957 ; G.P. de Louvigné-du-Désert 1957 ; Circuit de l’Aulne 1958 ; Manche-Océan 1959 ; G.P. d’Alger 1959 ; Bol d’Or des Monédières 1959.


[1]Pierre Chany, l’homme aux 50 Tours de France, Éd. Cristel, 1996, p. 200.
[2] Jacky Desquesnes, Gérard Saint ou l’espoir anéanti, de l’Ornal Éditions, 2010, p. 132.
[3] Cité par Jacky Desquesnes, p. 26.
[4]Ibid., p. 95.
[5]In L’Équipe du 17 mars 1960.

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