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José Samyn, qui eût exigé son dû...
Comme tant d’autres, hélas, il a laissé l’image d’un jeune homme surdoué, que le destin fauché. À vingt et un ans, il avait gagné une étape dans le Tour ; à vingt-deux ans, il inquiétait Van Looy. Portrait d’un prodige appelé José Samyn…
Dans l’effort, posé bas sur son vélo, José Samyn avait l’air d’un jeune chat. Une taille assez courte, une silhouette efflanquée, un nez tordu, « tourmenté », écrivit Antoine Blondin[1], mais un sourire indemne qui tenait de l’enfance : oui, un jeune chat, ou, pour mieux dire, un félin en devenir — de la famille des félidés, qui rassemble les tigres et les lions. Quel genre aurait-il incarné s’il avait atteint l’âge d’homme ? Personne ne le saura jamais ; il semble néanmoins que, dans les courses d’un jour, José Samyn, formé par son père, ancienne vedette du circuit amateur, eût exigé son dû face aux Merckx, Godefroot, Leman, De Vlaeminck. N’avait-il pas terminé troisième de Paris-Tours 1967, battu au sprint par Rik Van Looy et Barry Hoban ? Un Van Looy qu’il retrouverait la saison suivante, lors d’une Flèche Wallonne restée légendaire. Que l’on se remémore la scène : le Belge, dieu vivant, défiait à trente-quatre ans la seule classique (hormis Bordeaux-Paris) qui ne figurait pas à son colossal palmarès. Et voilà qu’il ouvrait enfin la route — mais filé comme son ombre par José Samyn, le grand espoir du cyclisme français ! Fallait-il comprendre que le vieux lion, une fois encore, devrait en rabattre ? Non. À la vérité, ce dimanche 21 avril 1968, Van Looy était intouchable. Mais Samyn, largement indemnisé pour chaque relais qu’il voudrait prendre, s’évertuait à relancer l’allure, ravi de laisser derrière lui Janssen, Gimondi, Huysmans, Van Springel. Bref ! une sorte d’exploit que Jean-Marie Leblanc, son équipier chez Pelforth, commenterait d’une moue admirative : « Vous vous rendez compte ? À vingt-deux ans, finir deuxième de la Flèche Wallonne… »[2]
Comment ne pas se rendre compte ? Comment ne pas voir que le frontalier, né le 11 mai 1946 à Ouiérain, — les Français prononçaient Samine, les Belges Samin — confirmait un talent remarqué depuis ses débuts tonitruants, en cadet. C’était au point que les greffiers s’y perdaient, certains lui accordant cent dix-sept victoires amateurs, d’autres cent trente-cinq. Chose sûre, il régnait, imposant partout sa pointe de vitesse, son audace, sa maitrise et sa belle humeur. « Lui était une espèce de latin du Nord, très gai, très vif », préciserait Jean-Marie Leblanc[3]. Puis de rappeler, la voix déchirée, de quelle manière les coureurs vivaient en ce temps-là : « José, qui avait gagné beaucoup d’argent chez les amateurs, s’était acheté une grosse Ford, et nous traversions la France pour aller faire les critériums. Bien sûr, nous partagions les frais, il conduisait, je conduisais… Nous chantions à tue-tête… »[4] Car le prodige imaginait que l’existence serait à la hauteur de ses dons : rapide, brillante, effrontément magnifique… Aussi passa-t-il chez les professionnels sans attendre, en mai 2007, pour honorer les Quatre Jours de Dunkerque, épreuve-phare de sa région. Il avait, on le souligne, vingt et un ans à peine ; et il contrait déjà, rusé tel un briscard, pour endosser le maillot de leader ! Au terme, deux accessits (troisième de la première étape, quatrième de la deuxième étape B) et une sixième place au classement général à regarder pour ce qu’ils étaient : des coups de semonce !
La machine s’emballa. Avec une lourde inconscience, Maurice De Muer, son directeur sportif, l’envoya disputer le Tour de France sous la livrée des « Bleuets ». Vu son jeune âge, c’était hypothéquer son avenir, ce que l’intéressé sentait confusément. Mais, le Tour étant le Tour, il n’osa refuser, s’embarquant pour vingt-deux étapes et quatre mille sept cent soixante dix-neuf kilomètres. On sait la suite : une victoire étourdissante à Digne, le 11 juillet, qui devait demeurer le point d’orgue de sa carrière. D’ailleurs, dès son retour à Quiévrain, une foule compacte, bruyante, chaleureuse, le guettait devant son domicile, autant pour fêter ce succès d’étape que sa dix-septième place à Paris. Les archives de l’INA ont conservé le souvenir de cette journée : un défilé en voiture décapotable, plus de mille supporters, des journalistes, des banderoles, son prénom chanté et scandé, la Marseillaise, d’impeccables garde-à-vous. Comme José Samyn, surpris par cette dévotion, il fallait se pincer pour y croire.
Cependant, sur la route, le Nordiste persévérait. Troisième, on l’a dit, de Paris-Tours, puis deuxième de la Flèche Wallonne, il gagnait aussi, en 1968, une étape de Paris-Nice et la première édition du Grand Prix de Fayt-le-Franc — un beau rendez-vous, renommé Grand Prix José-Samyn, hélas, dès 1970… Puis il retourna défendre sa réputation dans le Tour de France, persuadé qu’il pourrait franchir un palier supplémentaire. Malheureusement, une chute, dans la quatrième étape, le mit au supplice. Pour alléger ses souffrances, Maurice De Muer lui prescrivit un cachet de Corydrane. Douze mois plus tôt, le geste aurait paru ordinaire ; désormais, il tombait sous le coup des lois contre le dopage. Ahuri, et jurant sa bonne foi, José Samyn dut quitter la course. Selon le mot fameux d’Antoine Blondin, il avait « échoué à son examen de pissage »[5] ! Cela dit, le champion pleurait à chaudes larmes. Dans la tension du moment, il annonça mettre fin à sa carrière. Puis il se ravisa, évoquant d’une voix sincère « un chagrin qu’[il] devrai[t] trainer toute [s]a vie. »[6] Parce qu’il supposait que la vie, assurément…
Mais, la vie… Malgré une victoire dans le Tour de l’Oise, José Samyn eut le sentiment, en 1969, que les choses devenaient moins faciles. Payait-il ses folles dépenses d’énergie ? Sans doute… En tout cas, dans le Tour de France, il se retira après six étapes. Il pensa se refaire avec la tournée des critériums — notamment ce 25 août, à Zingem, devant un public acquis à sa cause. Et il roulait en tête, gardant pour ultime adversaire Victor Van Schil, lorsqu’un spectateur imprudent le jeta au sol… Les médecins diagnostiquèrent une fracture du crâne, irrémédiable. José Samyn avait vingt-trois ans.
© Christophe Penot
Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.
José Samyn en bref
- Né le 11 mai 1946 à Ouiérain en Belgique. Décédé le 28 août 1969 à Gand.
- Coureur chez Pelforth (du 30 avril 1967 et 1968) et Bic (1969).
- Principales victoires : Grand Prix de Denain 1967 ; Prix de Solesmes 1967 ; 11e étape Tour de France 1967 ; Circuit du Port de Dunkerque 1968 ; Grand Prix de Fayt-le-Franc 1968 ; Prix de Wingene 1968 ; 8e étape A de Paris-Nice 1968 ; Tour de l’Oise 1969.
[1]
InL’Équipe du 8 juillet 1968.
[2]
InJean-Marie Leblanc, gardien du Tour de France, Ed. Cristel, 1999, p. 91.
[3]
Ibid., p. 90.
[4]
Ibid.
[5]
InL’Équipe du 8 juillet 1968.
[6] Archives INA, juillet 1969. Interview de Claude Laplaud.