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Roger Rivière où la lumière pleut...


À vingt-trois ans, il comptait déjà trois titres mondiaux de poursuite et deux records de l'heure. Il devait gagner le Tour et pouvait devenir le plus grand du cyclisme quand une chute le brisa. Portrait de l'inoubliable Roger Rivière ...


Il était l'homme des éclats de rire. Pour avoir souvent diner avec lui, Pierre Chany se rappelait encore, au soir de sa vie, le ' rire très communicatif '1 d'un personnage qui ' explosait littéralement, se tapant bruyamment sur les cuisses '2. Mais, en cet après-midi du dimanche 10 juillet 1960, Roger Rivière ne rit pas. Allongé sur un lit d'hôpital, la colonne vertébrale entamée, il souffle aux journalistes qui l'entourent : ' Vous ne me verrez plus sur une bicyclette. '3 Puis il ferme les yeux, abruti de calmants. Peut-être songe-t-il à ses ultimes moments de coureur... La campagne chaude... La mauvaise route, les virages qui lacèrent la pente d'un petit col, le Perjuret, où Graczyk est passé en tête... Devant, à une courte longueur, il y a Louis Rostollan et Gastone Nencini, le maillot jaune, réputé meilleur descendeur. Funambule, provocant, l'Italien coupe ses trajectoires, prenant tous les risques. Par quel miracle échappe-t-il à la chute ? Rostollan, très tendu, se le demande lorsqu'il entend, juste derrière lui, le coup de frein sec et paniqué de son leader. Instantanément, il se retourne : Rivière bascule dans le vide. ' Il est tombé ! Là ! Dans le trou ! '4 hurle-t-il par réflexe, sautant de machine. Les premiers témoins se penchent. Oui, le phénoménal Roger Rivière git au fond du ravin, lucide mais immobile, atterré, ne sentant déjà plus ses jambes - un demi-dieu à demi-mort, pour illustrer le murmure de Rimbaud : ' C'est un petit val qui mousse de rayons./ Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,/ Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,/ Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,/ Pâle dans son lit vert où la lumière pleut. '5

Des poches de sa tunique, les médecins retirèrent des pastilles d'excitant : ' deux trous rouges au côté droit ', aurait dit le poète6. Car tout génial et précoce qu'il fût, le Stéphanois se dopait comme un vieux de la vieille. Bien sûr, ses rivaux (la plupart) ' chargeaient ', eux aussi, mais ce jeune Hercule y allait sans retenue. N'expliquait-il pas à Roger Bastide, avec l'aplomb des convertis : ' Si le soldat de Marathon avait eu recours au doping, il ne serait sans doute pas mort. '7 Puis d'éclater de rire, parce que cet éternel optimiste croquait la vie à pleines dents. Pierre Chany le peindrait en une phrase : ' Du vif-argent, l'un des coureurs les plus doués de toutes les générations '8... Doué au point que Roger Rivière, recruté par l'équipe Saint-Raphael en janvier 1957, stupéfia immédiatement les observateurs en se sacrant champion de France et champion du monde de poursuite, puis recordman de l'heure le 18 septembre avec 46,923 kilomètres ! Et comme il était lancé, il devint, la saison suivante, le premier homme à couvrir une poursuite en moins de six minutes, puis le premier homme à dépasser, à pulvériser, la barre des 47 kilomètres dans l'heure ! Lorsque le mythique Fausto Coppi, épaté par l'exploit - 47,347 kilomètres malgré une crevaison qui l'avait pénalisé d'un tour -, l'assura de son admiration, il répondit, amical mais frondeur : ' Hein ! j'avais annoncé le coup : plus de 47 dans l'heure ! '9

Annoncer le coup... C'était son ' truc ', lui qui avait grandi à Saint-Étienne, au milieu d'ouvriers qui ne faisaient point de manières. D'où ce tempérament extraverti, lequel lui valait à la fois une notoriété de fonceur et de chic type. Moins policé que Louison Bobet, moins secret que Jacques Anquetil, moins rusé que Géminiani, il réussissait à plaire aux uns et aux autres, tel le bon géant des livres pour enfants. On en aurait presque oublié qu'il avait les dents longues...

Le géant masquait un ogre. Non pas que Roger Rivière fût, au sens propre, un monstre d'ambition ; mais il aimait à jouir et posséder. C'était une vedette mariée joliment, qui roulait dans une grosse berline et trouvait normal de goûter tous les plats. Aussi déclara-t-il qu'un troisième titre mondial de poursuite ne saurait lui suffire ; il exigeait désormais la gloire des routiers, persuadé qu'il pouvait gagner des classiques et des Tours. Dans cette optique, il s'étalonna sur le Tour d'Espagne 1959, remportant quatre étapes et finissant sixième au classement général. Il enchaina avec le Tour de France, faisant table commune avec Bobet, Anquetil, Géminiani, Darrigade, Graczyk, Privat, Stablinski, au sein d'une inénarrable formation tricolore. La suite est connue : se craignant trop pour s'affronter, Anquetil et Rivière favorisèrent la victoire de Bahamontès, au détriment d'Henry Anglade. À Paris, le Normand termina troisième, le Stéphanois quatrième. Mais, dans les deux contre-la-montre, il avait nettement devancé Anquetil. C'était prévenir qu'il serait bientôt le meilleur...

Il annonça le coup : un succès dans le Tour de France 1960 et, pourquoi pas ? une quatrième couronne consécutive en poursuite pour marquer ses vingt-quatre ans. Car on en était là : un palmarès ahurissant, et des promesses plus ahurissantes encore ! Avec l'empressement que l'on devine, il rafla le contre-la-montre d'ouverture, disputé à Bruxelles. Puis, le 1er juillet, entre Saint-Malo et Lorient, flanqué des seuls Nencini, Adriaenssens et Junkermann, il mena une des actions majeures de l'histoire du Tour, bouclant à 44 kilomètres-heure de moyenne une échappée de 112 kilomètres. Résultat ? Quatorze minutes d'avance sur le peloton et simplement trois adversaires qu'il écraserait ou en montagne, ou dans les 83 kilomètres chronométrés de l'étape Pontarlier-Besançon. Bref ! il allait vaincre haut la main quand, à la sortie de Millau, sous un soleil doux, un coup de frein sec et paniqué...
Roger Rivière est mort le 1er avril 1976, invalide à 80 % et prématurément usé. Certains soirs, il s'essayait à rire, mais le cœur n'y était plus.

© Christophe Penot

Retrouvez chaque mois la suite de cette série de portraits dans La France Cycliste,
le magazine officiel de la Fédération Française de Cyclisme.



Roger Rivière en bref

* Né le 23 février 1936 à Saint-Étienne. Décédé le 1er avril 1976 à Saint-Galmier.
* Professionnel de 1957 à 1960 chez Saint-Raphael.
Principales victoires : Mont-Faron 1959 ; G.P. d'Alger CLM 1959, 1960. Cinq étapes du Tour de France et quatre étapes du Tour d'Espagne.
Poursuite : Champion de France 1957. Champion du monde 1957, 1958, 1959. Recordman de l'heure en 1957 et 1958.


1 Pierre Chany, l'homme aux 50 Tours de France, Éd. Cristel, 1996, p. 105.
2 Ibid.
3 In L'Équipe, 11 juillet 1960.
4 Ibid.
5 Arthur Rimbaud, Le Dormeur du Val.
6 Ibid.
7 Roger Bastide, Doping, Solar, 1970.
8 Pierre Chany, La Fabuleuse histoire du cyclisme, O.D.I.L., 1975, p. 898.
9 Pierre Chany, Les rendez-vous du cyclisme, La Table ronde, 1960, p. 148.



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